Petit-déjeuner du : « La médiation : outil de prévention des conflits »

article PdJ le 27 mars 2012 Aucun Commentaire

Par Ghislaine Ramel, Juriste, ARM, EFARM.

Le contexte :
Commençons en utilisant l’un des termes phare de notre XXIème siècle : la médiation.
La voilà revenir sur l’avant -scène de notre société alors qu’il s’agit d’une vieille dame plus que centenaire ; mais elle est encore peu connue, voire confondue avec d’autres personnages qui ont eu et ont, eux aussi, leurs heures de gloire: Citons par exemple la transaction, la conciliation, l’arbitrage. Tous les secteurs de notre société sont concernés : de la Famille, en passant par les Affaires, en revenant avec la Justice et en passant par l’Etat. Qui n’a pas son Médiateur pour régler un conflit?
Les choses sont dites : la Médiation reste associée à la résolution des conflits. Oui les conflits sont notre lot commun et l’entreprise n’échappe pas à l’évolution de notre Société : beaucoup de temps et d’énergies improductives sont dépensés dans les équipes de collaborateurs face aux conflits.
Alors pourquoi ne pas essayer de prévenir la survenance de conflits et pourquoi ne pas donner à la médiation une autre connotation ? Certainement pourrait-elle alors remplir le vrai rôle social que l’on souhaite lui attribuer car après tout elle entre dans les disciplines faites pour les relations humaines.
Intégrer la dimension Ressources Humaines dans la stratégie de l’entreprise est aujourd’hui une nécessité reconnue. Implanter une démarche de gestion globale et transverse des risques est également sur la voie de l’avenir de la gestion des risques et de grandes entreprises ont déjà bien compris le rôle de la gestion des conflits pour préserver tant l’adaptation de leurs collaborateurs que leur propre réputation.
Cela étant, dans l’immensité et la diversité des événements, seul un nombre limité de périls peut mettre en cause l’atteinte des objectifs stratégiques de l’entreprise ; d’autres ont un moindre impact : c’est le cas des conflits et souffrances diverses dans le milieu du travail.
C’est dans ce contexte que se pose la question de la prévention des conflits.
Comment peut-on identifier ce risque spécifique?
Peut-on l’évaluer? Quelle solution retenir pour le traiter ? Comment planifier et organiser la prévention?
Autant de points que nous allons aborder.

1) L’identification du conflit éventuel
Paul et Jean travaillent dans le département Comptabilité d’une entreprise internationale. Au cours d’une réunion de service ils expriment chacun des points de vue contradictoires. Rien de moins courant. Mais la situation se reproduit et il se crée un blocage stérile avec la perception d’une tension entre Paul et Jean. Personne ne sait ou ne veut désamorcer le différend qui va aller à l’encontre de la réalisation des missions du Département Comptabilité : vérifications des options comptables pour le Directeur Financier.
Chaque fois qu’une situation de blocage ou d’impasse relationnelle se produit entre au moins deux personnes qui ont un intérêt ou un objectif en commun, il y a conflit explicite ou latent.
Même si le conflit est humain – il est positif d’exprimer des points de vues contradictoires pour en tirer des leçons – il n’en reste pas moins vrai que maintenir une tension par inertie est souvent la conséquence de l’ignorance de la gestion des émotions, des attitudes et des comportements. Entrer dans la dynamique conflictuelle est aisé et libre cours est alors donné aux comportements de frustration, de rejet, d’hypocrisie, d’agressivité, d’à priori. Et le conflit nait et il prend des proportions injustifiées : autant d’énergies négatives dépensées à l’encontre de la réalisation des objectifs de l’équipe, voire de l’entreprise, le conflit va dégénérer tant sur l’individu que sur l’entreprise.
Dès lors, le rôle des responsables d’équipes déjà bien difficile à mener, se trouve, à leur insu, complété par une « garantie de bon fonctionnement » de leur équipe. Ils voient dans leurs prérogatives celle de gérer les relations interpersonnelles : si le climat de travail est « miné » par les mésententes, que le rendement diminue (voire s’accompagne de négligences ou de fautes), et que l’équipe est démobilisée alors c’est à eux, en fin de compte que sera attribué la responsabilité de cet échec.
L’identification du conflit est délicate car il surgit sournoisement ne laissant apparaitre que quelques signaux intermittents à ceux et celles qui sauront les capter. Le conflit est un aboutissement et non un début. Il n’en reste pas moins qu’il peut être assimilé à une vulnérabilité volontaire qui se manifeste par des actes de malveillance à l’égard tant des personnes que de l’entreprise par personnes interposées. Tout ce qui peut rendre la ressource humaine indisponible pour l’entreprise peut être qualifié de risque à l’image de la démission, du « burn out », de la maladie, de l’accident; Et le conflit va rejoindre cette liste.
Si l’habileté à résoudre des conflits et dénouer les impasses relationnelles devient une compétence, alors la prévention de survenance d’un conflit devra, elle, entrer dans la boite à outils du « bon manager ».

2) L’analyse et l’évaluation du conflit
Mener l’analyse de cette vulnérabilité nous fait entrer dans la notion de capital humain : les hommes et les femmes de l’entreprise ne sont plus considérés comme une contrainte mais comme un gisement de ressources et un actif clé pour les performances globales et la pérennité de l’entreprise.
Pour autant voilà une ressource que l’on identifie par sa diversité, sa complexité, ses aspirations multiples. On ne compte plus le nombre de scientifiques qui se penchent sur le sort de cette ressource pour en conclure qu’il s’agit d’une denrée pas spécialement rare mais plutôt chère dès lors qu’il s’agit de la développer et lui maintenir un taux d’employabilité.
Le maître mot est alors laissé à la Direction des Ressources Humaines (anciennement « service du Personnel ») qui pourra établir par exemple, en utilisant l’ensemble des données dont elle dispose et qu’elle reporte à la Direction Générale, le taux d’absentéisme, le « turn-over », les arrêts maladies et les causes à priori connues de ces évènements. Les données sur la constitution du personnel par exemple niveau de formation, sexe, âge, nationalité, ancienneté, questionnaires ou entrevues avant un départ…autant d’éléments à intégrer dans les paramètres de l’analyse des mesures sociales. Combien y a-t-il alors de personnes qui quittent la même équipe par année ? Combien d’arrêts maladie sur le même département ? et surtout pourquoi.
Cette analyse permet à la Direction des Ressources Humaines de déterminer tant l’environnement général et collectif du travail que l’environnement individuel et ainsi d’avoir les premiers éléments d’évaluation quantitative de conflits éventuels. Un élément à intégrer dans l’optimisation et la valorisation de l’utilisation de la ressource humaine.
Le niveau de risque de conflit peut ainsi être analysé et évalué afin de déterminer quelles vont être les priorités de traitement.

3) Les techniques de communication de la médiation comme outils de traitement préventif du conflit
Savoir traiter un conflit à sa source va s’avérer plus sain et contribuera à construire une relation équilibrée dans les équipes même si l’expérience et les statistiques montrent des possibilités de survenance illimitées et donc des causes très variées.
Dans ce domaine bien particulier constitué du tissus humain, il va être indispensable de prendre le temps d’une réflexion sur le processus qui mène au conflit d’une part et d’autre part sur les techniques de circulation des informations. Autrement dit :
– Comprendre les enjeux et les interactions en communication : la manière de considérer une personne va influencer le comportement
– Choisir la prévention plutôt que la gestion du conflit
La conception que les responsables d’équipes auront alors au sujet de leurs collaborateurs aura un rôle sur leur efficacité pour maintenir l’harmonie dans les relations de travail. Leur souci de leurs collaborateurs va passer soit par les efforts qu’ils feront pour en être aimés soit par le souci que les collaborateurs fassent leur travail ; le fait d’obtenir des résultats par la confiance, la sympathie, la communication l’obéissance, le respect sont toutes des manifestations de l’intérêt pour le facteur humain. Les collaborateurs vont alors réagir avec enthousiasme, rancœur, empathie, routine, résistance, indifférence….Pour peu que les équipes soient « multiculturelles » alors le conflit pourra être inhérent à la capacité d’adaptation : le collaborateur affiche sa diversité culturelle, le responsable encourage la sensibilité culturelle pour être à même de tirer parti de cette diversité.
Les techniques de communication utilisées pour mener une médiation sont centrées autour de l’altérité pour renouer un dialogue dans le respect de l’autre: c’est reconnaitre la légitimité des points de vue, reconnaitre l’aspiration à bien faire, au bien-être et au mieux savoir, c’est reconnaitre la possibilité de maladresse.
Il s’agit d’utiliser des techniques relationnelles : avoir une communication adaptée, une implication renforcée, une reconnaissance réciproque. Et bien entendu lutter contre le discours fataliste sur le caractère inévitable du conflit. Citons par exemple le fait pour le responsable d’équipe de recevoir ses collaborateurs, d’instaurer un dialogue, de les inciter à s’exprimer sur leurs priorités, de les faire réfléchir sur des solutions, des initiatives, de les réunir ensemble….
Si la prévention est sélectionnée comme la solution la mieux adaptée, il y aura lieu alors de la planifier et de l’organiser.
4) Faire entrer l’organisation de la prévention de survenance du conflit dans un programme global de gestion des risques
L’entreprise est une combinaison dynamique de ressources pour lui permettre d’atteindre ses objectifs. Parmi les diverses ressources, l’ensemble des employés est désormais admis au rang des sources de profit et de contribution à la valeur et à la pérennité de l’entreprise. A ce titre il fait partie des facteurs de développement durable tant sociaux que culturels. Comme tout élément du patrimoine, il doit être préservé et développé. Il en va désormais de la responsabilité sociétale de l’entreprise appliquée à elle-même. Et si cette ressource n’est pas mobilisée, il n’y aura pas création de valeur.
L’objectif est dès lors d’anticiper les conflits dans les équipes et d’en diminuer la probabilité de survenance en intégrant la prévention des conflits dans le programme global de gestion des risques de l’entreprise soutenu par la Direction Générale.
Comme pour toute action de prévention, il y aura une action sur la chaine de causalité conduisant à l’événement : dans notre contexte, il s’agit de rompre un enchainement de faits supposés conduire à un conflit. La mauvaise relation de travail qui s’installe entre Paul et Jean va nuire à leur rendement respectif, à leur motivation, à leur humeur, à leur énergie et va occasionner un climat de travail malsain au sein du Département Comptabilité. La coordination par le Chef Comptable sera rendue difficile et personne ne sera à l’abri de fautes ou d’erreurs dans l’accomplissement du travail de chacun.
Parler de programme global de gestion des risques revient alors à intégrer l’expérience fondamentale du Risk Manager dans l’élaboration et la mise en place du processus de gestion des risques. Dans le cas d’une vulnérabilité telle que le conflit, la gestion collaborative étroite entre le Risk Manager et le responsable des Ressources Humaines sera d’une grande efficacité pour :
– Appréhender la problématique générale des conflits,
– Etablir le contexte (équipe multiculturelle, équipe transnationale, équipe âges variés, pression dans le travail….),
– Identifier le risque en utilisant les outils de gestion des risques appliqués aux données émanant des Ressources Humaines (absentéisme, démission,…),
– Analyser et repérer les causes de conflit(s),
– Bâtir un dispositif et établir un diagnostic d’identification des éléments potentiels susceptibles d’affecter l’organisation (les organigrammes « horizontaux », la qualité de vie au travail, les processus de communication existants, les questionnaires chiffrés sur les dysfonctionnements.),
– Evaluer le risque et les coûts d’un conflit (heures de travail perdues, absences, remplacements, fautes commises…) et faire le bilan,
– Préparer un plan de traitement en conséquence : établir des préconisations et un plan d’actions sur les causes de survenance d’un conflit pour susciter dans l’entreprise une culture de risque avec comme véhicules la communication, l’échange et le dialogue,
– Engager un programme de sensibilisation dédié aux responsables d’équipes : leur indiquer les signes et attitudes qui « annoncent » qu’un conflit se prépare, leur apprendre à encourager le succès des personnes, à susciter le respect de la diversité et la sensibilisation culturelle, les aider à ne pas se mettre en situation d’échec … Tout un programme de formation basé sur l’analyse des causes car la gestion du relationnel opérationnel dans les équipes pour l’application de la prévention est et reste de la responsabilité quotidienne des responsables d’équipes,
– Proposer un programme d’information à l’attention de l’ensemble des collaborateurs,
– Le Responsable des Ressources Humaines pourra décider que le « savoir déceler, prévenir et bien sûr gérer les conflits» sera l’un des éléments de l’évaluation annuelle des responsables d’équipes au même titre que d’autres éléments d’évaluation des compétences.
Parmi les valeurs attendues d’un tel programme, citons l’amélioration de la qualité relationnelle, la maîtrise des difficultés relationnelles, la réduction de l’absentéisme, la réduction du « turn over », le rétablissement de la convivialité, l’optimisation de la productivité, la réduction du risque de faute ou d’erreur dans l’accomplissement des tâches.
L’image de l’entreprise ainsi que sa réputation en seront les premières bénéficiaires notamment par les informations répercutées par les employés eux-mêmes à l’extérieur de leur entreprise.
Le Risk Manager et le Responsable des Ressources Humaines pourront également tirer profit de tous les nouveaux outils pédagogiques existants, parfois très ludiques pour faire valoir l’esprit de prévention du risque de conflit.
Permettons nous en conclusion, de confirmer que l’enjeu est bien le développement de l’engagement de tous les collaborateurs pour réduire les risques et augmenter la performance globale de l’entreprise.
Les techniques utilisées en médiation offrent un processus durable de prévention des conflits et un environnement de travail où chacun a le sentiment d’être écouté, reconnu et valorisé.
En associant la médiation préventive au « mieux travailler ensemble » elle aidera, au terme d’une évolution culturelle dans la manière de régir les rapports humains, à passer d’une société du conflit à une société du compromis.

Ghislaine Ramel a préparé cet article en Avril 2011 dans le cadre de la soutenance de l’EFARM European Fellow in Applied Risk Management, plus d’information sur www.carm-institute.fr/efarm.

L’auteur est Juriste spécialiste du droit contractuel international et Risk Manager certifié ARM et EFARM. Elle est également Arbitre commercial inscrite sur les listes du Centre Français d’Arbitrage de Réassurance et d’Assurance et Médiateur membre de l’Association Nationale des Médiateurs.
ghislaine.ramel@sfr.fr

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